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Une ordonnance du tribunal administratif de Paris du 14 mars dernier1 questionne l’applicabilité de la protection fonctionnelle au régime de responsabilité des gestionnaires publics.

Alors que la doctrine2 semblait considérer qu’un gestionnaire ne pouvait pas bénéficier de la protection fonctionnelle dans ce cadre, le juge des référés estime que la mise en cause de l’agent devant la Cour des comptes au titre de l’infraction de l’article L. 131-14 du CJF3 ne peut pas être qualifiée d’une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions. Et que partant, « le moyen tiré de la méconnaissance du champ d’application du principe général du droit à la protection fonctionnelle est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué ». Cette ordonnance nous permet de revenir sur le mécanisme de la protection fonctionnelle (I.) et son application dans le champ de la responsabilité financière (II.).

I. Une garantie pour les agents publics

La protection contre des poursuites pénales4

Aux termes des dispositions du CGFP –codifiant à droit constant les statuts de la fonction  publique–,  un agent public bénéficie de protections et de garanties dans l’exercice de ses fonctions. A ce titre, figure la protection fonctionnelle. Cette protection revêt plusieurs formes, dont celle relevant de l’article L. 134-4  du CGFP :

« Lorsque l'agent public fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. (…) »

Les conditions de cette protection sont cumulatives : l’engagement de poursuites pénales et un comportement qui n’a pas le caractère d’une faute personnelle détachable du service (autrement dit, une faute de service).

En pratique, et s’agissant du contenu de cette obligation légale, il s’agira essentiellement pour l’administration de prendre en charge les frais d’avocats et les éventuels frais de justice. Cependant, l’amende pénale constitue une peine et par conséquent, reste à la charge de l’agent5.

Des poursuites uniquement pénales

La disposition précitée apparaît claire quant aux hypothèses d’application : l’octroi ne vaut que pour les seules poursuites pénales.

Quid de ce champ d’application limité et donc de la portée réelle de la protection fonctionnelle ? Sachant que cette protection a été érigée comme un principe général du droit par le Conseil d’État qui rappelle régulièrement sa valeur6.

Une question a pu se poser quant à son application devant des juridictions autres que pénales, notamment –et cela nous intéresse tout particulièrement– devant la Cour des comptes7. Si le Conseil d’État confirme l’octroi de la protection en l’espèce, ce n’est pas tant sur le fondement du principe général du droit, mais seulement en application de la jurisprudence Ternon de 20018.

Les conclusions de M. Yann Aguila, commissaire du gouvernement9 dans cette affaire de 2007 confirment, selon nous, la lecture stricte de cette condition : « s'il fallait répondre à ce second moyen, nous vous proposerions de confirmer la position du ministre sur l'inapplicabilité de la protection aux fonctionnaires poursuivis devant la Cour des comptes».

II. Quelle garantie pour les gestionnaires publics ?

Un régime de responsabilité autonome

Si le régime de la responsabilité financière présente un caractère répressif à l’instar de la responsabilité pénale, il n’en demeure pas moins qu’ils sont autonomes l’un de l’autre.

D’une part, cette autonomie est institutionnelle avec la mise en œuvre de poursuites par des ordres juridictionnels distincts et la possibilité de cumul des poursuites. D’autre part, s’agissant de la protection fonctionnelle, le CGFP10 distingue parfaitement la responsabilité pénale de la responsabilité financière.

Il ressort de l’interprétation du juge des référés dans l’ordonnance mentionnée en introduction que, ni les dispositions du CGFP, ni le législateur n’ont entendu exclure l’application de la protection fonctionnelle à de nouvelles procédures. Il considère en conséquence qu’il existe un doute quant à l’application de la protection fonctionnelle pour des cas de mise en jeu de la responsabilité des gestionnaires publics. Cette ordonnance, qui n’a pas de valeur au fond, interroge sur l’interprétation du juge11, alors qu’il était affirmé par de nombreux observateurs que cette option n’était pas envisagée.

Protection fonctionnelle versus Protection juridique

Le régime de responsabilité financière se veut en rupture avec les régimes antérieurs applicables aux seuls ordonnateurs et comptables.

Si l’amende prononcée par la Cour des comptes à l’encontre d’un gestionnaire ne semble pas pouvoir être prise en charge par les assurances, qu’en est-il des offres de protection juridique proposées aux gestionnaires ?

Pour pallier tant les effets de la RGP que son régime, les gestionnaires peuvent souscrire des contrats de protection juridique pour la prise en charge, notamment, des frais d’avocats, des dépens ou frais irrépétibles. Le parallèle peut donc être fait avec le contenu de la protection fonctionnelle attribuée par une collectivité à un agent dans le cadre d’une procédure pénale.

L’ordonnance commentée pourrait avoir retenu une vision conséquentialiste sur ce point. Si le contenu des protections apparait proche, la protection fonctionnelle dispenserait aux gestionnaires de souscrire une assurance à leurs frais. Affaire à suivre au fond et/ou en cassation12.

Quelques précisions

1 : TA Paris, 14 mars 2024, n° 2403460.

2 : La responsabilité des gestionnaires publics : clap de départ - Etude par Jean-François Calmette et Florent Gaullier-Camus – JCP A, n° 1, 9 janvier 2023 – LexisNexis.

3 : A la lecture de l’ordonnance, la sanction de l’infraction en cause serait la condamnation à une astreinte, en raison de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de justice.

4 : Si la protection fonctionnelle concerne bien évidemment les poursuites civiles et pénales, la présente analyse est circonscrite aux poursuites pénales.

5 : Question de Jean-Louis Masson, n° 5618, JO du Sénat du 11 avril 2013.

6 : Conseil d'État, 1er févr. 2019, M. A c. Min. des armées, n° 421694 - Publié au recueil Lebon

7 : Conseil d’État du 22 janvier 2007, n° 285710, Mentionnée aux tables.

8 : Dorénavant codifiée à l’article L. 242-1 du CRPA.

9 : Dénommé rapporteur public depuis le décret du 7 janvier 2009.

10 : Articles L. 125-2 du CGFP. 

11 : Rappelons les mots de Bernard Stirn à l’occasion du Séminaire sur les principes généraux du droit national, européen et international de 2018 : « Les principes généraux du droit ont une valeur supérieure à celle de tous les actes administratifs », mais une valeur inférieure aux lois. C’est sur ce point que l’ordonnance interroge. 12 : D’une part, le référé-suspension est une procédure accessoire qui, à peine d’irrecevabilité, suppose un recours au fond.
D’autre part, l’ordonnance rendue en premier et dernier ressort ne peut faire l’objet que d’un recours en cassation.

Abréviations

CGFP : code général de la fonction publique

CJF : code des juridictions financières

CRPA : code des relations entre le public et l’administration

RGP : responsabilité des gestionnaires publics

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